Deportivo
Rarement la France aura connu un power trio de ce calibre. Un gang, soudé sur une même idée et une même pratique de la musique, réuni autour d’une idée fixe : rock, intransigeante, filant vers un idéal sonique en langue française. Une triade de tête brûlées qui a affronté le bruit blanc sur un premier manifeste “Parmi eux” et où chacun sait mettre sa confiance entre les mains de l’autre, comme ses illustres aînés américains : Fugazi, Shellac, Nirvana et Husker Dü. Pas une bande de foutriquets qui se la dore façon cajoleur d’oreille FM ou dans des petites chansonnettes en demi-teinte sonique. Non. Des voltigeurs, des radicaux qui entrent en studio comme sur scène avec la ferme intention de démontrer par A+B que le rock a gardé intacts ses valeurs d’urgence, de révolte, de combativité sociale et existentielle.
Le deuxième album… Un sacré défi. Chaque groupe ayant eu le privilège de passer cette épreuve confesse la dureté de la tâche : la tête prise dans un étau, coincé entre l’envie de corriger les erreurs constatées a posteriori dans le premier, le désir de satisfaire de nouvelles démangeaisons artistiques et la volonté d’aboutir au plus vite les chansons idéales qui se trouvent dans recoin de ventre. Le second rejeton est celui de tous les enjeux, celui qui vient confirmer l’enthousiasme des débuts ou bien pondérer les superlatifs distribués par la critique. De tout ça, Deportivo en a fait complètement abstraction. Ils sont entrés dans ces nouvelles compositions la tête la première, dans une dynamique de tournée tout feu tout flamme où ils ont servi l’électricité et la colère dans une coulée incandescente de 150 dates sur toute la France.
Les premières chansons de ce second chapitre sont nées entre deux virées scéniques, dans un studio de Londres, sous la bienveillance Gordon Raphael (l’homme responsable du son sur les deux premiers albums de The Strokes). Dans sa petite boutique, Julien, Jérôme et Richard ont exploré les architectures primitives de La Brise, Exorde Baratté, Clasico… des chansons très spontanées, ordonnées en un tournemain et validées très vite. Le lieu, exigu et familial, leur plaisait bien mais ils ont finalement opté pour le Black Box d’Angers au moment de passer aux grandes manœuvres. Question de proximité, de bien-être aussi. Au Black Box, on maîtrise les fondements de l’assaut sonique puisque la plupart du personnel a participé de près ou de loin à la discographie des Thugs, le seul groupe français à pouvoir rivaliser avec les fines lames américaines pop-hardcore. CQFD. Gordon Raphael fera le déplacement en France pour co-produire et mixer les sessions menées avec Yann Madec, leur ingénieur du son de tournée : le meilleur gage de garantie énergétique. Et ils ont le son. Le son ! ! ! !
Cet album, Deportivo le voulait comme un prolongement du premier, un deuxième sprint à guitares fait dans l’humeur de l’instant, véhiculant l’état d’esprit d’un groupe en plein épanouissement encore tout surpris d’avoir rencontré un public. « “Parmi eux” était un disque d’hiver, son successeur est le disque d’un groupe surpris par l’été. » résume paraboliquement Jérôme le chanteur pour expliquer l’évolution entre les deux opus. Et ce sont des types heureux, humbles et généreux, que l’on entend jouer ici. Si “Parmi eux” montrait un groupe empoisonné par ses frustrations, radical par nécessité, regroupé derrière un essaim de guitares tueuses et de textes gavés de fiel ; on entend dans ces dix titres un Deportivo plus disposé à badiner : capable de s’amuser dans l’urgence, de s’autoriser des respirations acoustiques (I might be late, Suicide Sunday), de se fixer des objectifs esthétiques par pur plaisir personnel en invitant Arnaud Samuel (Louise Attaque, Tarmac) par exemple à venir “pizzicater” une reprise d’un vieux titre de Miossec, Les Bières s’ouvrent aujourd’hui manuellement.
Les textes ont profité de cette période de détente pour prendre le large et s’écarter de la syntaxe colérique. Ils sont même devenus drôles dans des textes sans queue ni tête, moquant les expressions de ceux-ci (Exorde Baratté), fricotant sur les berges anglaises (I might be late, Blue lights) s’amusant des airs du temps (Ne le dis à personne et personne ne le saura)… Fidèle à leur catéchisme de vigueur, le trio contient la notion de mélodie dans sa plus simple expression pour toucher du doigt la notion de transe par l’électricité, la senteur cramée d’un riff entêtant, d’une machinerie rythmique envoûtante qui répande le souf(f ?)re jusqu’à l’enivrement. Et c’est pour ça qu’on les aime.