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Pearl Jam

« BACKSPACER »

BACKSPACER

“Ce n’est pas si dur de faire un bon disque,” déclare Eddie Vedder en riant. “Il suffit d’avoir un bon groupe et un dictionnaire et normalement après ça va tout seul …” Cette leçon, Eddie l’a apprise au fil de son expérience et pas la moindre : après tout, Pearl Jam compte déjà à son actif huit grands albums studio, concoctés avec les mêmes ingrédients élémentaires que ceux cités plus haut.
En début d’année, Pearl Jam a revisité Ten, son tout premier opus de 1991, remixant les titres originaux avec Brendan O’Brien, son collaborateur régulier, et proposant cette nouvelle version de l’album dans une édition plus luxueuse restituant, pour le plus grand bonheur de ses fans, le contexte historique ainsi que des souvenirs et incluant également la version de la démo qu’Eddie avait envoyé à ses nouveaux comparses au tout début du groupe. La nostalgie n’étant cependant pas son fort, Pearl Jam travaillait aussi parallèlement sur Backspacer, son neuvième album, vraisemblablement son œuvre la plus déterminée et pêchue à se jour.
“Nous avons commencé par des chansons, au lieu de se contenter de juste passer du temps en studio,” déclare Eddie Vedder à propos des origines de Backspacer, qui réunit douze titres sur quelques 36 minutes, un opus d’une urgence rare qui a la précision d’un laser. “Pris d’un élan d’inspiration, les chansons se sont été écrites facilement. C’est un disque vraiment concis, qui ne s’éparpille pas et dont l’orchestration qui va à l’essentiel.”
“Nous voulions réaliser un disque qui soit vraiment bon,” ajoute le guitariste Stone Gossard. “Nous avons donc pris soin de nous débarrasser de tout ce qui risquait de nous empêcher d’atteindre cet objectif.”
“C’est un disque concis,” renchérit Mike McCready, “ avec quelques éléments totalement nouveaux pour nous, comme des violons et des cors d’harmonie superbes. Je pense que ce projet va surprendre et intéresser le public.”
Après avoir travaillé séparément sur des idées de chansons, le groupe se réunit en décembre dernier pour écrire et répéter chez Jeff Ament, le bassiste, dans sa maison du Montana. C’est donc là-bas que leurs créations prennent forme avant deux semaines de séances d’enregistrement en studio à Los Angeles en février. Brendan O’Brien – qui a démarré avec Pearl Jam sur l’album Vs, sorti en 1993, et a collaboré depuis avec Bruce Springsteen, AC/DC et Mastodon – a repris les fonctions de producteur pour la première fois depuis Yield (1998), renouant ainsi une collaboration chère au fameux quintet de Seattle.
“Pour nous, c’est le meilleur producteur qui soit,” déclare Stone Gossard, “ Brendan sait à merveille comment s’y prendre avec notre identité, fruit d’un savant mélange de personnalités, avec notre côté brut, pas parfait, il sait comment conjuguer nos imperfections et nos maladresses, qui nous rendent humains, avec son professionnalisme.”
“Lorsque nous écrivions les chansons, il est devenu un membre du groupe,” ajoute le batteur Matt Cameron. “Il prenait la guitare et mettait la main à la pâte, il est totalement impliqué avec nous, dans la musique. Maintenant il y a des types qui sont très forts dans le domaine du numérique que Brendan maîtrise aussi, mais il sait comment obtenir un bon son d’un mellotron et d’un clavinet, il vient de l’analogique, tout comme nous. Il sait comment procéder avec des groupes analogiques comme nous.”
“Et il sait comment réaliser un enregistrement avec une formation qui joue en live,” poursuit Jeff Ament, “car c’est comme ça que nous enregistrons, tous les cinq ensemble dans le studio. Il n’y a plus beaucoup de groupes qui travaillent comme ça de nos jours.”

Backspacer est le fruit d’une période particulièrement féconde sur le plan créatif, réunissant des titres qui déménagent vraiment, comme ‘The Fixer’ et ‘Johnny Guitar’, et d’autres davantage tournés vers la réflexion, comme ‘Just Breathe’ ou l’époustouflant ‘The End’ qui clôture l’album. L’inspiration était partout et à toutes heures, Eddie Vedder raconte qu’il a écrit l’exubérant ‘See My Friend’, qui ouvre l’album, dans “une petite pièce exigüe, avec des gens en train de dormir au-dessus et en-dessous de moi, je ne voulais donc pas faire trop de bruit. J’avais une petite batterie et une guitare électrique branchées sur un FX de la taille d’un iPhone et c’est comme ça que j’ai obtenu ce gros son de rock garage à la Kinks.” Dans sa version finale, cette chanson est, selon Jeff Ament, “notre premier titre ‘Grunge’,” tandis que pour Stone Gossard il s’agit d’un hommage à leurs vieux amis de Mudhoney.
‘Speed Of Sound’, l’un des meilleurs morceaux mid-tempo de l’album a été écrit et enregistré à la dernière minute : Eddie l’a proposé alors que le groupe était en train de mixer l’album avec O’Brien à Southern Tracks à Atlanta. Il avait écrit cette chanson en travaillant avec Ronnie Wood des Rolling Stone à Hawaii jusque tard dans la nuit et en “essayant d’écrire quelque chose qui soit dans l’esprit de Tom Waits ou Keith Richards, le dernier mec qui traîne encore dans le bar alors que tout le monde est parti, une chanson assez triste … A mon retour à Atlanta, je l’ai finie tout seul, puis Brendan a tout de suite demandé à tous de jouer et voilà. C’était au départ un titre à la guitare acoustique dans lequel un type exprimait toute sa morosité et s’est tout à coup devenu cette composition qui donne la pêche.”
Dans Backspacer, Vedder était également impatient de tirer les leçons apprises dans le cadre de son travail sur la bande originale du film Into The Wild, récompensée d’un Golden Globe. C’est d’ailleurs conversation captivante sur la psyché humaine avec l’actrice Catherin Keener, qui joue dans le film, qui lui a inspiré les paroles de ‘Unthought Known’. “Après avoir dû travailler tout seul en studio sur Into The Wild, il me tardait de rejoindre un groupe,” dit-il. “Pas n’importe quel groupe, de retrouver ces quatre types là ! Maintenant que j’ai eu la chance de travailler en totale indépendance, d’avoir le contrôle absolu sur ma création, je n’en ressens plus le besoin pour un moment. Cette expérience a rendu notre bonne vieille routine très excitante et m’a permis d’apprécier cette association que nous formons et ce que nous sommes devenus.”
‘Just Breathe’ vient d’une idée qu’Eddie avait eue sur la bande-son de Into The Wild : le groupe et O’Brien élaborant une structure et des arrangements autour d’un simple riff d’Eddie. “On dirait une sorte de magnifique suite d’Into The Wild,” déclare Matt Cameron, “c’est un morceau très orchestré et travaillé mais avec un côté intimiste, qui touche l’auditeur. Brendan a ajouté les cordes, les cors d’harmonie et d’autres trucs, apportant quelques nuances avec beaucoup de délicatesse.”
Ce savant équilibre entre richesse des orchestrations et une certaine légèreté est l’une des caractéristiques des morceaux calmes de Backspacer. Dans ‘Just Breathe’, Jeff Ament délivre une ligne de basse à la Carol Kaye, qui n’est pas sans faire référence aux Beach Boys, également évoqués dans les harmonies de cette chanson. Au niveau des paroles, cette chanson correspond à du grand Eddie Vedder : des textes émouvants, sincères et puissants. “J’étais installé dans une petite pièce, toutes fenêtres ouvertes et avec un magnétophone, lorsque m’est venue une idée qui m’a ému,” se souvient-il. “Je n’avais pas envie d’écrire quelque chose de compliqué, je voulais juste aller jusqu’au bout de cette émotion. Cette chanson parle de nos plus grands moments de bonheur qui surviennent sans qu’on ait le temps de s’en rendre vraiment compte parce nous allons toujours si vite. C’est sur le fait de vouloir que tout s’arrête et de simplement prendre le temps de respirer sans parler …”
Tout peut être source d’inspiration pour Eddie Vedder. Pour ‘Johnny Guitar’, par exemple, les paroles s’inspirent d’une histoire dont il a eu l’idée dans les toilettes du quartier général du groupe à Seattle. “Il y a des vieilles pochettes de disques qui sont collés au mur,” raconte en souriant Eddie. “A la hauteur des yeux, on peut voir les pochettes d’un certain Johnny Guitar Watson ; un genre de Barry White mélangé de Buddy Guy, certaines particulièrement évocatrices, avec pas seulement des femmes légèrement vêtues, mais des femmes intéressantes… J’ai imaginé un gamin qui serait attiré par l’une des filles sur la pochette et qui se demanderait pourquoi elle est avec Johnny Guitar, vu qu’il a visiblement plein de femmes partout. Pourquoi vouloir être l’une des femmes de Johnny Guitar, une parmi des centaines, alors que tu peux être ma seule et unique ?”
Stone confie que le réparateur de ‘The Fixer’ (peut-être le morceau le plus brillant et insolent de l’album) est en fait Eddie lui-même. “Je pense que cette chanson évoque Ed et sa façon de travailler avec nous en essayant de faire en sorte que nos chansons à nous tous tiennent debout. Cette chanson est partie d’un riff de Matt, sur lequel on a ensuite passé une journée à élaborer une structure, puis Ed a dit qu’il restait plus longtemps pour travailler dessus. Le lendemain, en s’aidant d’un magnéto, il avait réalisé une chanson totalement différente avec des paroles très optimistes sur un type qui adore arranger les choses, qui cherche toujours l’occasion pour essayer de réparer. Cette chanson est en quelque sorte devenue l’âme de ce disque et tout s’est mis en place sans problème ensuite.”
‘Got Some’ est un autre morceau très simple que le groupe a interprété pour la première fois dans l’émission inaugurale de The Tonight Show avec Conan O’Brien. Eddie : “‘Got Some’ dit en fait que si tu as envie de ces chansons rock’n’roll qui s’écoutent fort et qui font du bien, nous en avons quelques-unes. C’est vraiment très simple apparemment, mais en plus on a ajouté quelques phrases comme : ‘Avez-vous entendu parler de la résolution diplomatique ?’… Ce genre de trucs m’éclate. Visiblement il ne m’en faut pas beaucoup pour m’éclater. Ces types, ils écrivent vraiment des trucs pas évidents et ne se contentent pas d’envisager la musique d’une façon normale, je crois que cela a déteint sur mon écriture, je suis sûr que c’est ça.”

Si les chansons de Backspacer sont relativement courtes, Mike McCready a néanmoins trouvé l’espace pour développer son jeu. Quoi qu’il ne dispose pas d’autant de latitude que dans ‘Alive’, le légendaire premier single de Pearl Jam, son jeu de guitare demeure toujours aussi créatif et inventif comme en témoigne ‘Supersonic’ où il déploie l’étendue de ses talents. Et de décrire ce titre écrit par Stone Gossard comme “un peu de Ramones, un peu de Led Zeppelin avec un riff de Black Sabbath au milieu”, tandis que ‘Amongst The Waves’ lui fournit l’occasion de revenir à son premier amour, le blues, délivrant une ligne mélodique dans la lignée de Mick Taylor.
“Mike McCready est le genre de type qui, lorsqu’il renverse sa tête en arrière, sent des choses qui circulent en lui…ça arrive,” déclare Eddie, “et je trouve ça fort intéressant de le voir s’emparer d’un morceau et l’interpréter avec une telle précision.”
Pour McCready, ‘Amongst The Waves’ est la pierre angulaire de l’album, les paroles évoquent une forme de renaissance et de renouveau qui s’inscrit dans l’esprit de ce disque. “J’ai l’impression d’être sur une planche,” dit-il tout sourire, “de surfer, d’être littéralement dans les vagues, de voir les dauphins, et d’en saisir une. Chaque fois que je passe sous une vague, j’ai le sentiment de renaître, de me transformer. Lorsque je sors de l’eau au bout d’une heure, je ne suis plus le même.”
Le sentiment de liberté qui se dégage de ce disque fait écho au nouveau statut de Pearl Jam qui, depuis la compilation rearviewmirror sortie en 2004, est dégagé de ses engagements envers Epic Records. Cinq années se sont écoulées depuis et l’industrie du disque semble avoir irrévocablement changé, tandis que le groupe, qui entretemps a sorti Pearl Jam sur J Records en 2006, a choisi de confier la commercialisation physique de Backspacer à Universal en Europe, tout en se laissant libre de choisir d’autres options pour la circulation de sa musique au format numérique.
“Après tout ce que nous avons donné et les combats et bras de fer que nous avons mené avec Sony, nous avons eu le sentiment que nous méritions de garder notre liberté,” déclare Jeff Ament. “Nous n’avons plus de dettes envers eux et nous avons désormais le droit de sortir notre musique comme bon nous semble. Il est désormais plus facile et rapide que jamais de sortir de la musique, c’est génial de pouvoir bénéficier des avancées de la technologie. Nous allons quand même sortir notre album en vinyle, parce que c’est de cette façon que nous aimons écouter la musique, nous les dinosaures, mais elle sera aussi accessible en format numérique pour les téléphones portables ou les ordinateurs… Nous vivons une période intéressante. Le bon vieux temps où régnaient cinq grosses majors est fini et nous sommes ravis de voir ça.”
Mais Pearl Jam est impatient de reprendre la route. “Lorsqu’on se demandait dans quel ordre mettre les chansons sur l’album,” confie Eddie, “je pensais en fait aux set listes et je me demandais si on jouerait telle chanson trois fois par mois ou par semaine lorsqu’on serait en tournée ?”
Et McCready d’ajouter : “Lorsqu’on enregistrait ‘Supersonic’, je n’arrêtais pas de me dire que ce serait un morceau éclatant sur scène et que les gens allaient adorer…”
Quant à l’après Backspacer, le groupe a d’ores et déjà plusieurs chansons sous le coude et a déjà hâte de retourner en studio. Mais Eddie ajoute : “Lorsqu’on vient de finir un disque, on se laisse une période d’état de grâce sans s’inquiéter de l’avenir. Qui sait ce que ce disque nous réserve ?”